Depuis les années 1990, la trajectoire démocratique en Afrique a été caractérisée par une trajectoire complexe fait de progrès, de stagnation et de régression. L'optimisme initial suivant la vague de démocratisation des années 90 a laissé place à une réalité plus nuancée, marquée par des réussites dans certains pays, la consolidation des autocraties et même un recul démocratique dans d’autres. Avec la récente vague de coups d'État militaires et la désillusion croissante face aux défis socio-économiques persistants, la situation appelle à un examen critique des fondements et des cadres du gouvernement légitime et de la démocratie constitutionnelle en Afrique, dans le cadre du discours plus large sur la « décolonisation » des connaissances et des institutions socio-économiques et politiques.
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Après l'indépendance, de nombreux pays africains sont passés de démocraties formellement multipartites à des systèmes à parti unique. Ces changements étaient souvent justifiés par la nécessité de construire des « nations » et des États à partir de groupes disparates et de répondre au sous-développement socio-économique, souvent en invoquant des modèles de gouvernance traditionnels africains et en s'inspirant des systèmes à parti unique soviétiques et chinois. Dans les années 1990, l'Afrique avait expérimenté une variété de modèles de gouvernance, y compris :
- Systèmes multipartites ;
- Systèmes à parti unique ;
- Multipartisme limité (par exemple, le Sénégal et maintenant le Somaliland) ;
- Multipartisme illimité ;
- États sans parti (par exemple, l'Éthiopie avant 1974, la Libye, l'Eswatini) ;
- Dictatures militaires
La réintroduction de la démocratie multipartite dans les années 1990, par une demande populaire soutenue par une influence occidentale significative, était perçue comme une mesure corrective des échecs passés, y compris la misère économique, avec des niveaux de développement dans de nombreux pays africains en 1990 pires qu'à l'indépendance. Cependant, cette transition n'a pas nécessairement conduit aux résultats souhaités de stabilité, de légitimité et de gouvernance efficace, et les résultats sont restés mitigés et provisoires. Malgré ces expériences variées, il n'y a pas eu de délibération continentale complète sur la viabilité d'une conception africaine spécifique du gouvernement légitime. Le modèle démocratique libéral est resté dominant formellement, souvent imposé ou encouragé par des acteurs extérieurs, sans une considération suffisante des perspectives et des contextes indigènes.
Le retour formel au multipartisme a abouti à des trajectoires diverses :
- Démocratisation progressive dans certains pays ;
- Stagnation de l'autoritarisme dans d'autres ;
- Régression démocratique après des progrès initiaux ;
- Conflits et instabilité persistants dans plusieurs régions.
Dans tous les cas, cependant, malgré un soutien populaire généralisé pour la démocratie, l'insatisfaction vis-à-vis de ses résultats est élevée, comme en témoignent les enquêtes Afrobarometre.1 Cela soulève des questions fondamentales non seulement sur l'échec à mettre en œuvre les idéaux démocratiques, mais aussi sur la pertinence et la mise en œuvre de la démocratie (libérale) en Afrique. Le problème est-il l'absence de démocratie substantielle, ou est-ce l'application inappropriée d'un modèle (occidental) dans un contexte africain ?
L'ingénierie constitutionnelle africaine est-elle suffisamment nourrie par les systèmes de connaissances et de croyances endogènes et les expériences des sociétés africaines ou continue-t-elle sur la voie d'une imitation longuement décriée ? La constitution, censée être le mécanisme central de l'organisation politique, a parfois été critiquée comme un instrument normatif déconnecté des aspirations des sociétés africaines sans nécessairement refléter leurs propres réalités.
Des intellectuels et des dirigeants politiques africains de renom, y compris récemment l'ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, ont plaidé pour une "Afro-démocratie".2 Les dirigeants militaires récents, comme ceux du Burkina Faso, ont fait écho à ces appels. La forme libérale de démocratie constitutionnelle, avec son accent sur les divisions entre gouvernants et opposition et les droits individuels, doit être évaluée de manière critique quant à son applicabilité et son efficacité en Afrique.
Questions clés
Ce Congrès vise à contribuer au discours sur la décolonisation en explorant de nouveaux cadres pour une gouvernance constitutionnelle et légitime en Afrique. En particulier, il cherche à permettre des discussions sur ce à quoi pourrait ressembler un cadre gouvernemental constitutionnel et légitime décolonisé, tant dans sa conception que dans son architecture institutionnelle. Les questions clés incluent :
- Quelles sont les conceptions de la démocratie adoptées par les pays africains ?
- Quelles sont les conceptions régionales et sous-régionales (CER) de la démocratie, et comment s'alignent-elles et interagissent-elles avec les conceptions au niveau national ?
- Les États africains ont-ils innové des institutions et des processus uniques pour relever leurs défis ?
- Le modèle démocratique actuel n'est-il qu'une imitation des anciennes puissances coloniales ?
- Quel impact cette imitation a-t-elle eu sur le succès ou l'échec de la démocratie en Afrique ?
- Comment la performance de la démocratie varie-t-elle d'un pays africain à l'autre, et quelles leçons en tirer ?
- Certains pays sont-ils mieux adaptés pour prospérer sous les conceptions existantes des institutions constitutionnelles que d'autres ?
- Y a-t-il besoin d'une « Afro-démocratie » distincte ?
- Quels seraient les principes fondamentaux et les caractéristiques institutionnelles clés d'une telle démocratie ?
Pertinence du Congrès
Le Congrès cherche à rassembler des intellectuels, des universitaires et des praticiens de divers horizons d'Afrique et d'ailleurs pour réfléchir et discuter des questions autour du thème général énoncé ci-dessus, y compris les questions suivantes, et fournir de nouvelles façons de penser et des alternatives politiques :
- Comprendre les conceptions de la légitimité du gouvernement en Afrique ;
- La pertinence ou l’impertinence de la production conceptuelle coloniale (ou autre externe) pour aborder les schémas cognitifs des sociétés africaines ;
- Comment la production jurisprudentielle engage les cadres normatifs et conceptuels externes pour trouver des solutions innovantes aux problèmes politiques, institutionnels et sociaux dans les contextes spécifiques de l'Afrique ;
- L'utilisation des connaissances endogènes comme mécanisme de résolution des conflits institutionnels, etc.
Axes de réflexion
Axe 1 : Déconstruction du mimétisme constitutionnel
- Analyse critique de l'adoption et de l'adaptation des modèles constitutionnels occidentaux en Afrique, au niveau national, régional et continental ;
- Formes historiques de gouvernement légitime dans différentes parties de l'Afrique, et enseignements pertinents pour la gouvernance légitime moderne ;
- Étude des implications du mimétisme constitutionnel sur la légitimité, la stabilité, l'efficacité gouvernementale et, plus largement, l'identité et les aspirations des sociétés africaines ;
- Exploration d'alternatives à l'approche mimétique dans la conception constitutionnelle africaine.
Axe 2 : Endogénéisation du droit constitutionnel
- Évaluation des efforts pour intégrer les connaissances endogènes et les valeurs africaines dans les normes constitutionnelles ;
- Étude de cas sur les constitutions et les pratiques juridiques reflétant une dynamique d'endogénéisation ;
- Impact de l'endogénéisation sur la légitimité et l'efficacité des institutions constitutionnelles en Afrique.
Axe 3 : Décolonisation conceptuelle et juridique
- Analyse des discours et mouvements décoloniaux dans le domaine des études et pratiques constitutionnelles africaines ;
- Examen des initiatives visant à déconstruire les paradigmes conceptuels coloniaux et à réimaginer le constitutionnalisme en Afrique ;
- Réflexion sur les possibilités et les défis de la décolonisation conceptuelle et juridique en Afrique.
Axe 4 : Approches jurisprudentielles africaines
- Étude des développements jurisprudentiels africains qui s'éloignent des cadres normatifs occidentaux pour répondre aux défis locaux ;
- Analyse des décisions de justice intégrant les valeurs et traditions africaines dans l'interprétation et l'application du droit constitutionnel ;
- Réflexion sur le potentiel de l'innovation jurisprudentielle africaine à transformer les pratiques institutionnelles et sociales en Afrique.
Axe 5 : Connaissances endogènes et résolution des conflits
- Étude des mécanismes traditionnels de résolution des conflits et de leur interaction avec les institutions constitutionnelles ;
- Analyse des approches hybrides de résolution des conflits combinant connaissances endogènes et normes constitutionnelles ;
- Exploration des défis et des opportunités liés à l'intégration des connaissances endogènes dans les processus de justice et de gouvernance en Afrique.
Ces axes de réflexion ne sont pas exhaustifs et visent à fournir un cadre pour explorer différentes dimensions de la pensée et de l'ingénierie constitutionnelles en Afrique, en tenant compte des contextes historiques, culturels et politiques spécifiques du continent.
Méthodologie
Le Congrès africain de droit constitutionnel explorera les perspectives empiriques et épistémologiques nécessaires pour développer une conception et une pratique endogènes africaines du constitutionnalisme, pouvant s'inspirer des enseignements du monde entier, mais sans simplement les imiter. Cet effort vise à créer des structures de gouvernance légitimes, inclusives, stables et efficaces, enracinées dans les contextes historiques, culturels et politiques uniques du continent. En évaluant de manière critique les modèles existants et en proposant de nouveaux cadres, le congrès vise à contribuer à la transformation continue de la gouvernance démocratique en Afrique.
Le Comité d'organisation du Congrès appelle donc à la soumission de propositions de communications et/ou de panels sur des sujets d'intérêt dans tous les domaines relatifs au thème général du Congrès. Les expertes femmes et les soumissions avec une perspective de genre sont particulièrement encouragées à participer.
Les universitaires, praticiens, fonctionnaires, juges et autres parties intéressées peuvent soumettre jusqu'à 300 mots de résumés en ligne
La date limite de soumission des résumés est le 31 août 2024. Les résumés acceptés devront être développés en articles originaux complets et soumis d'ici le 30 novembre 2024. Des directives sur les articles complets seront fournies en temps voulu.
Les organisateurs prévoient de publier les actes du Congrès.
Assistance financière
Les organisateurs chercheront à soutenir certains participants en ce qui concerne les frais de voyage et/ou d'hébergement, en fonction des besoins et de la pertinence de la contribution proposée. Les organisateurs pourront également fournir des lettres de soutien aux auteurs des résumés acceptés pour les aider à obtenir un financement pour leur participation.
Les organisateurs prendront en charge le transport local et les rafraîchissements pendant l'événement, ainsi qu'un dîner de clôture du Congrès.